mercredi 24 février 2016

TERRE PROMISE

LXXIII


  • Pour vous, Monsieur, j'ai mis ma robe d'espoir.
  • Ce tissus soyeux, Madame me laisse tout voir. Derrière ce voile léger, je devine des paysages merveilleux vers lesquels j'aimerai m'aventurer.
  • Ho Monsieur, ce pays là n'a pas de frontières. Avancez en homme libre et le cœur léger.
  • J'accoure, Madame.
  • Holà, l'aventurier ! Il est inutile de vous presser. Sur mes terres, la nuit ne tombe jamais. Paressez, Monsieur, laissez monter en vous la curiosité. Étonnez-vous de toute chose. Humez, goûtez, observez, touchez chaque élément de ce pays. Cherchez à le connaître plutôt que de le conquérir. Il est à vous comme mes soupirs.
  • J'accoste donc, belle contrée, sur vos rivages.
  • Faites, mon ami. Fête !
  • Deux routes s'offrent à moi. L'une à droite, l'autre à gauche.
  • Je ne saurai vous guider, bel étranger, elles sont identiques.
  • Ha! Quel dilemme ! J'ai une idée. Je marcherai sur les mains. L'une à droite, l'autre à gauche, ainsi connaîtrai-je sous mes paumes votre géographie.
  • Jouer au jeu de paume, voilà une belle idée. J'adore !
  • Que ces chemins sont agréables. Sous mes doigts, le grain en est doux. Je suis avec délice leur relief arrondi. Là, je gravis une colline au sol plus dur, qui donne sur un petit plateau. Je souffle un peu.
  • Oui, prenez votre temps. Contemplez le panorama.
  • Je me retourne et je regarde d'où je viens. Au loin, des plantes. C'est magnifique. Oserai-je... ?
  • Osez, mon alpiniste, osez.
  • Quelles belles plantes...c'est le pied.
  • Flatteur !
  • Non, Madame, même les sept merveilles du monde réunies, n'arrivent pas à la cheville de cette partie de votre royaume, ma reine. S'il ne tenait qu'à moi, je stopperai là mon exploration et je...
  • Non ! Monsieur, poursuivez, il me plaît.
  • Soit ! Je poursuis. Après les plateaux rocheux, je gambade sur des dunes de sable blanc. Mes mains s'enfoncent délicieusement sur ce souple chemin.
  • Que voyez-vous à l'horizon, ma vigie ?
  • Je vois, au point de convergence des deux routes, de sombres broussailles, qui ensuite laissent la place à un désert, avec en son centre, un puit. Est-ce un oasis ?
  • Oui, mon tout beau. C'est dans ce creux que dorment mes origines.
  • J'avance encore ?
  • Oui mais laissez de coté les buissons ardents. Vous y reviendrez pour vous reposer. En leur cœur, coule une source. Ma source. Mon eau fraîche. Ma fontaine de jouvence. Marchez maintenant dans le désert, mon petit prince.
  • Que ce désert est agréable, ma douce. Son sable est chaud et fin. Il ondule sous mes doigts.
  • Une tempête se prépare, mon nomade.
  • Je ne vois point de nuages à l'horizon, uniquement deux montagnes dressées. Leurs sommets se dessinent nettement dans le ciel de vos yeux. Existe-t-il un passage pour franchir ces obstacles ?
  • Sûrement, mais je ne vais pas tout vous dire.
  • Alors j'explore. Là, entre les deux montagnes, une vallée. Séparons-nous mes mains. L'une escaladera le mont de droite, l'autre empruntera le défile, les gorges.
  • Vous menez votre campagne de main de maître, mon capitaine. Je suis au garde à vous.
  • Après le désert, qu'il est agréable de parcourir cette gorge. Il y fait une fraîcheur revigorante. Mes doigts sautillent de plaisir. Mon autre main arrive enfin au sommet après avoir musardé sur le versant escarpé de votre montagne. Tel un jeune bouquetin, elle a sautillé de place en place, goûté quelques herbes folles. Elle a contemplé au fur et à mesure de l’ascension, le panorama sur le désert qui s'offrait à ses yeux. Magnifique ! J'en ai des frissons.
  • Moi aussi, mon ami, moi aussi. Mais... que faites vous au sommet ?
  • Cette escapade m'a assoiffé et ma bouche croque dans vos neiges éternelles qui le couvre.
  • Après le désert, le dessert en quelque sorte.
  • Ma langue bien pendue, découvre la douceur de votre pic. Serait-ce un volcan car j’entends un grondement sous la roche.
  • C'est mon cœur, mon cœur, qui s'emballe sous votre exploration.
  • Va-t-il exploser ?
  • Lui et moi avec, mais pas avant la fin de votre tournée. D'ailleurs, puis-je vous guider dans cette dernière étape ?
  • Bien sûr, vous êtes la maîtresse de ces lieux. Je suis à vos ordres.
  • Votre bouche et l'une de vos mains resteront sur mes crêtes. Faites les voyager de l'une à l'autre. Laissez les cheminer sur mes montagnes. Elles peuvent en faire le tour. Elles peuvent rouler jusqu'en bas puis remonter en flânant.
  • Je vous reçois cinq sur cinq.
  • Votre main libre, peut quant à elle, découvrir la partie supérieure de mon territoire. Tout d'abord, ma coupe de fruit rouge. Passez vos doigts dessus. Sentez la douceur de sa texture.
  • Aie !
  • Pris au piège mon ami ! Ne vous ai-je pas prévenu ? Qu'elle étourdie je fais. A l'intérieur se cache un piège aux dents nacrées. N'aillez crainte, leurs pointes vous mordillent plutôt qu'elles ne vous broient. Avez-vous mal, mon prisonnier ?
  • C'est une douleur agréable.
  • Venez maintenant vous soignez dans les herbes folles et noires qui dansent aux confins de mon pays.
  • Là ? Tout en haut ?
  • Oui.
  • Ma main s'y repose.
  • Repos bien mérité, mon somnolent.
  • Ai-je tout vu de votre monde, Ma dame ?
  • Oui, pour clore votre périple, qui fut un plaisir pour moi, qui a mis à feu et à sang mon joli territoire devenu volcan qui couve, qui gronde... je vous invite Monsieur à me baiser!
  • Tout de suite ma terre promise.

mardi 16 février 2016

DANS LES MARéCAGES

LXX

J'irai dans les marécages
Repêcher ton corps nu
Où il a fait naufrage
Après notre dernière entrevue.

Il est vrai que j'ai pris ombrage
De savoir que ton cul
Servait d'amarrage
Aux bites des premiers marins venus.

Il est vrai que ton corps sage
N'a pas tenu
Aux assauts sauvages
De mes mains crochues.

Il est vrai qu'il est dommage
D'avoir tordu
Dans la fleur de l'âge
Ton cou si menu.

J'irai sans doute à la nage
Récupérer ton corps nu,
Là-bas dans les marécages
Où tu flottes toute nue.

Je te déposerai sur une barge
Dans le port, bien en vue
Des marins de passage

et des autres qui t'ont foutu.

Assis sur une bitte d'amarrage

J'attendrai leur venue.
J'aurai la rage.
Je les tuerai à mains nues.

Après le carnage,

Dans un arbre aux branches tordues,
Près des marécages,
On me retrouvera pendu.

Pour mon dernier voyage

Vers les nues
Je n'aurai pour tout bagage,
Mon cœur pour toi mis à nu.

samedi 13 février 2016

GUEULE CASSéE

LXIX




Gueule cassée dans le décors blanc du théâtre des illusions.
Gueule cassée n'amasse pas rousse, ni blonde, ni ronde.
Gueule cassée serpente entre les débris de sa vie, éparpillés par le vent de sa folie.
Gueule cassée est un miroir brisé où le reflet de sa face cachée forme un masque parfait.
Gueule cassée tranche dans le vif, dépeçant la beauté à coups(désespérés)de canif.
Gueule cassée mord la splendeur des étoiles et avale leurs morceaux de cristal dans un râle coïtal.
Gueule cassée jouit de sa laideur avec ardeur en s'abandonnant dans la fente du néant.
Gueule cassée, patchwork de visages fixés sur la rétine du bourreau.
Gueule cassée raccommode le réel au fil de son imagination,
Binette usée,
Bouche brisée,
Claquoir caduc,
Glouton tremblant,
Gosier courbé,
Margoulette périmée,
Trombine flageolante,
Tronche pétée.
Gueule cassée, gueule ouverte sur l'absolue nécessité de manger l'air.

vendredi 12 février 2016

MARRON

LXVIII


Je suis marron, foutu, floué, trompé.
Je me suis fait entuber, enfler, abuser.
Voyez-vous le tableau?
Je ne suis qu'une tâche de douleur sur la toile de ma crédulité.
Je ris, je ris de me voir si mal dans le miroir de mes illusions.
Je ris jaune évidemment, rouge de honte et vert d'une colère intérieure qui mes laisse des bleus à l'âme.
J'enrage. Je m 'enverrais bien des pains, des claques, 
des châtaignes pour faire sortir de mon corps l’épaisse bêtise de mon être.
Comment ai-je pu croire que je serais immortel ?
Je suis marron, foutu, floué, trompé... mort !

jeudi 11 février 2016

ROSE

LXVII



Je vois la vie en rose.
A fleur de peau, je suis.
La beauté du monde pique mon coeur d'épines de douceur.
Je vois la vie en rose.
Ça doit être mon coté flamand qui enflamme ma prose comme un filament incandescent,
brûlant mes mots instantanément.
Je vois la vie en rose,
Des bourgeons de joie explosent sous la langueur, l'hypnose des belles choses.
Je vois la vie en rose, dans la transparence des pétales de mauves.
Je vois la vie en mauve, dans l'éclatante beauté des roses.
Je vois la vie en rose, dans ses années moroses
Qui voudraient que mes portes soient closes aux hommes et aux choses. 


mercredi 10 février 2016

VERT

LXVI


Je me mets au verre,
D'eau, de rouge, de terre, tige ou tical.
Peu importe le verre pourvu que j'ai l'ivresse.
Je me mets au vert bouteille,
Jolie bouteille, laisse-moi tranquille.
Je me mets aux vers, 
Je fais le mort, la bouche pleine de terre.
Je monologue sur l'importance de la poussière dans l'équilibre du monde.
Je me mets aux vers des poètes...
Rimbaud, Baudelaire, Mallarmé, Hugo, Prévert, Char, Jégou, Thomassaint, Auden.
Je ne mettrais jamais de vert de gris,
Envers et contre tout!

dimanche 7 février 2016

ROUGE

LXV


Je vois rouge,
Je tire sur tout ce qui bouge.
La colère m'aveugle.
Je ne vois que du rouge, du rouge, du rouge.
Ça flambe tout autour.
Le rouge coule à flot des entrailles et des boyaux.
Je passe à l'orange sous les feux de la mitraille.
Je déraille, il faut que je me taille.
Ça fume et ça pue sur le charnier des vaincus.
Je me tire.
La part du lion est pour moi.
J'ai faim. Je mange une étrange sanguine orange.
Je suis dans le rouge, maintenant.





vendredi 5 février 2016

GUEULES D'OUBLI

LXIV


     



Gueules d'oubli, gueules d'amour
Gueules cassées, gueules d'un jour,
Croisées par hasard 
Dans les rues de nulle part, 
Entre chien et loup
A la sortie d'un rade, 
D'une impasse, d'un passage,
A la fin du tunnel
Pour un voyage sans retour.

Gueules d'oubli,gueules d'amour, 

gueules noires,gueules ouvertes 
Croisées dans un miroir,
Brisées, déçues, 
Fracassées, battues, 
Boursouflées, déchues,
Tombées aux oubliettes,
En attente d'être reconnues
Dans le couloir de la mort.

Gueules d'oubli, gueules d'amour

Gueules de loup, gueules de four
Croisées en enfer,
Sur les champs de bataille,
Entassées, en pagaille,
Décharnées, brûlées,
Fétus de paille
Partis en fumée
Pour l'éternité.

Gueules d'oubli, gueules d'amour

Gueules d'enterrement
Croisées dans la tombe
Décomposées, osseuses
pétrifiées, vaporeuses
Légères comme des pierres
Lancées dans l'air,
Signatures à jamais gravées 
Dans le marbre du temps.







Crédit photos:http://photographers.ua/topic/portraits-and-people-fotograf-antti-viitala-5337/

mardi 2 février 2016

EDUQUER

LXII

Éduquer, verbe intransigeant du 1er groupe d’élite.
Éduquer, verbe transgressif pour le 2ème groupe au fond de la classe.
Éduquer, verbe incontinent du 3ème groupe des bébés, pépés et autres mémés.

Présent :
J’éduque’coffre moi Monsieur ! Je peux chanter Othello a cappella.
Tu éduques d'Édimbourg et de York.
Il éduque Ellington et son orchestre dans l’espace enfumé du Cotton Club.
Nous éduquons t’avance avec ta charrette !
Vous éduquez voyez partir les bateaux vers l’Amérique.
Elles (z)’éduquent le zézaiement des zèbres et autres zigotos du zoo.

Passé simple :
J’éduquai des brumes pour la culture, des Orfèvres pour la police, de Branly pour les arts.
Tu éduquas de conscience. Etre ou ne pas être ce que les autres veulent que tu sois ?
Elle éduqua d’école, grande ou petite, élémentaire ou supérieure, privée ou publique.
Nous éduquâmes qui vivent élèvent l’esprit.
Vous éduquâtes et cinq plus six qui font quinze.
Ils éduquèrent de cent ans, des tranchées, de sécession, d’indépendances, de religion, des nerfs.

Imparfait :
J’éduquais bécois du coté de ma mère et du Quechua du coté de mon père.
Tu éduquais’ce que j’peux faire ?  J’sais pas quoi faire !
Il éduquait’pi lui aussi, de père en fils dans la police.
Nous éduquions tu vas le bouger ton tas de ferraille !
Vous éduquiez’ce que je vois ? Mais oui, c’est mon p’tit chéri, mon p’tit loulou d’amour ! Viens faire un câlin à mamie.
Elles éduquaient voyaient partir les trains emportant leurs amoureux.

Futur :
J’éduquerais au milieu et souliers vernis du dimanche.
Tu éduqueras de l’opéra, petit pas de deux, sueur et ampoules.
Il éduquera le bol des « fait pas ci, fait pas ça » et gni gni gni et gna gna gna.
Nous éduquerons de jambes, courbettes et sourire en coin.
Vous éduquerez sur le côté et on se lève lorsque le professeur entre en classe.
Elles éduqueront petit pas tapon !

Éduquer, verbe compliqué que l’on essaie souvent de conjuguer au plus que parfait.