LXI
2016 …
Il se peut que rien ne bouge, en attendant la pluie, des
caresses à foison, la force des rêves, une main qui se lève, le souffle du vent
dans les cheveux des enfants, vivre de rien ne veut pas dire vivre sans rien,
vivre dignement, avoir le nécessaire pour être bien avec soi et avec les
autres. Des promesses, des promesses et la peau du corps qui se déforme et
encaisse le passage du temps, un trait, une ride pour chaque jours. Tchak, tchak, taille, taille la route. Creuse,
creuse le fossé entre hier et demain. Une niche pour les chiens, un terrier
pour les lapins, un avenir pour les humains, un nid pour les oiseaux, de l’herbe
pour les taureaux été la danse du ventre et les danses, denses des ventres
affamés et repus. Des ventres ronds comme des globes terrestres. La terre en
gestation. La rondeur, la ronde, la danse encore. Pas après pas cadencés, hop,
hop, hop, des petits sauts, la poussière que ça soulève des petits pas sur le
sol. Faire l’effort. Faire l’effort de vivre, de sourire, de respirer, de
souffler, de penser, de dire, de marcher, de s’accroupir, de regarder, de s’émerveiller,
de rêver, d’être soi, d’être soi dans le regard de l’autre, de s’allonger, d’ouvrir
les yeux, de les fermer, de prendre des mains dans les siennes, de cajoler, de
chérir, de consoler, d’accueillir. Atténuer les forces contradictoires qui
vivent en nous. Le bien et le mal deviennent, unis, le BAL, la danse encore. La
joie et la colère accouplées deviennent la JOLERE, une force puissante qui
ravage toutes les peurs, tous les doutes, toutes les frustrations dans un
tourbillon de gestes fous, tendres, sûrs et démonstratifs. Les mains dans la
boue, à genoux dans la terre. Sentie l’humus. Croquer les odeurs. Sourire. Entendre
les bruits de la forêt. La fumée qui sort de ma bouche n’a rien à voir avec le
feu. Le froid est partout, dans l’air, dans l’eau, dans mes veines. Le réchauffement
climatique n’a pas atteint mon cœur. Un bloc de béton dans ma cage qui pulse,
ça vibre tout autour, ça fissure l’air, les vitres, la glace, les visages. La rupture
est proche, l’élasticité des matériaux dépend de la grosseur du grain de sable.
Les architectes du néant ont tout prévu pour
éviter la catastrophe, pour prévenir des attaques extérieures, ils l’ont armé !
Du cube gris surgissent des fusils qui mitraillent l’air alentour. Tombent les
mouches, les oiseaux, les acrobates, les feuilles, les masques, les chemises,
les soldats, les hommes et les femmes de bonne foi, de bonne volonté, la neige
et ses dérivés. Je m’attarde à des détails. Je penche la tête sur le côté pour
changer de point de vue. Je regarde toutes les choses, les objets intensément
pour tenter de voir au travers, un verre, un tableau, une bague, une chaussure,
ma main, vos yeux, un clou, un savon, une bouteille de parfum. L’animal bouge
en moi, il gratte, il saute, il hurle, il miaule, il piaille, il souffle, il
grogne, il mord, il dort, il grimpe, il saille, il croque, il lape, il siffle,
il renifle, il urine, il s’ébroue, il guette, il se sauve, il se terre, il lèche,
il court, il meurt, il s’accouple, il revit. Passe le pont, foule l’asphalte,
regarde autour de toi et découvre l’infinitésimal changement du monde. Il est
là, dans la position d’un caillou posé sur le chemin. Hier, lors de ton
passage, il n’était pas à la même place. Il reposait sur le bord, dans l’herbe.
Quelle force a pu le déplacer ? Tu ne connaîtras jamais toutes les
histoires intimes des éléments qui composent le monde mais l’important à cet
instant, est de voir le changement, d’y être attentif car la transformation est
la vie. Alors, ouvre les yeux, ouvre les yeux ! Rien n’est acquis, tout
est à prendre, à apprendre, à surprendre, à suspendre, à rendre. A vomir, vole
la ferraille dans l’air et libère la noirceur, les pleurs et le sang des cœurs.
Le chant de la mitraille est de retour. Les bouches s’ouvrent, béantes sur l’horreur
des Hommes. Un magma noir stagne en chacun de nous. La chaleur, la chaleur, il
bout, il bouillonne et déborde pour irradier, brûler, liquéfier, envahir,
anéantir d’autres personnes. Le chant de la mitraille d'aujourd’hui est le
chant légendaire des sirènes. Il envoûte et tue ! Loup y-es-tu ? le
retour de l’animal ? il n’y aura plus de terre à jeter dans les tombes,
une larme au coin de l’œil, le regard bascule à l’intérieur des songes. Une nuit
d’été, allongé sur le sable, les mains croisées derrière la tête, le regard
perdu dans le noir bleuté de la nuit, les étoiles en reflet dans le miroir des
pupilles, je pense à tout ce qui s’est passé depuis des millions d’années, à ce
qui se passera dans celles à venir. L’instant présent n’a pas besoin d’être pensé,
il se vit. Je ressens le vent qui caresse la plage, j’entends le léger ressac
des vagues, mon corps épouse les formes du sable, il se gonfle et se dégonfle
au rythme de ma respiration. Les yeux ouverts, j’admire la beauté du ciel et j’éprouve
ma petitesse humaine devant cette immensité. Un autre jour, je regarde les
nuages à images, ceux qui se transforment constamment. Un chien devient un
cheval puis un singe qui laisse la place à une gargouille qui tire la langue,
puis une femme au nez en trompette, l’œil grossit, remplace le nez, un bouche apparaît, un autre visage encore qui gonfle et s’évapore pour donner naissance
à des dizaines de petits lutins qui dansent main dans la main. Les nuages à
image sont volages, ils vont de coin de ciel bleu en coin de ciel bleu, au gré
des vents de leurs envies. Fatigués d’avoir tant joué, tant voyagé, ils se
reposent la tête en bas, accrochés au fil de l’horizon. Et puis des brassées de
sourire de mon amoureuse, les regards brillants des enfants, le choc des verres
remplis de vin, les mains de nos anciens dans nos mains, des mots tendres et
doux que l’on chuchote enfin, des prés verts et fleuris à perte de vue, des
visites surprises à des amis, des fleurs offertes que l’on met dans un vase un
sourire aux lèvres, des longues lettres à des personnes que l’on aime pour leur
dire qu’on les aime encore et encore, des instants volés à la mort…
2016…
Il se peut que rien ne bouge sauf nos cœurs.